REFLEXIONS ET PRISES DE POSITION DE L'OPL SUR LA CONJONCTURE

Numéro : 01

Les faux pas du gouvernement haïtien dans la gestion du COVID-19                                                                                                                                      

Un mois déjà que la pandémie du CORONAVIRUS / COVID-19 a franchi les limites territoriales de la République d’Haïti. Le 19 mars 2020, le Chef de l’État, flanqué des membres de son gouvernement fraîchement installé, dans une annonce officielle et solennelle, met tout le monde sur le qui-vive. Deux cas d’infection sont enregistrés, déclare-t-il, sans trop de précision sur les origines des victimes et les dispositions prises  en cette occasion par les autorités sanitaires, jetant ainsi de la confusion dans les esprits et le doute sur la valeur réelle de l’information. Le gouvernement en général et le Chef de l’État en particulier souffrent d’un déficit chronique de crédibilité. La pandémie fait chaque jour, depuis son apparition à Wuhan en Chine en décembre 2019, des avancées géantes dans le monde entier forçant les gouvernements des pays mieux pourvus en équipements, en personnels qualifiés, en ressources financières à prendre des mesures drastiques de prévention pour protéger leurs populations. En République Dominicaine voisine, l’état d’urgence est décrété, un suivi de l’évolution de la pandémie est assuré au quotidien, toutes les institutions sont mobilisées. Des cas d’infection et de mort en progression rapide sont enregistrés. On s’attendait donc du côté occidental de l’île à l’arrivée du virus sans savoir par quelle porte il ferait son entrée. Mais personne ne semble être préparée. Encore moins le gouvernement. Le spectacle de mauvais goût offert par les membres du cabinet ministériel entassés les uns contre les autres devant les caméras, lors de la conférence de presse du 19 mars pour inviter la population à respecter des mesures de protection auxquelles ils ne prêtent guère attention eux-mêmes, est un témoignage éloquent.

Entre les autorités de l’État et la population la communication passe mal. Le train de mesures annoncées par le Président de la République pour enrayer la propagation du virus et par ricochet éviter d’une certaine  façon ses effets catastrophiques, n’est pas conçu dans le cadre d’un plan global de gestion de la pandémie. Elles apparaissent comme calquées sur des dispositions prises ailleurs sans tenir compte de la réalité sociale et économique du pays. Un mois après, le bilan des premières mesures prises par le gouvernement pour endiguer la pandémie n’est pas du tout rassurant. Des voix avisées d’ici et d’outre-mer s’élèvent pour mettre en garde contre tout relâchement dans l’observance des mesures de protection ou contre toute forme d’incrédulité quant à la virulence de la maladie. Le pire est à venir. Dès la troisième semaine d’avril, soutiennent-elles, les cas d’infection au coronavirus et de mort seront en croissance exponentielle eu égard à son développement en d’autres régions de la planète. Même le ministre des Travaux Publics, en fossoyeur de la République, déclare prendre déjà les dispositions appropriées pour parer à un hécatombe compte tenu de la faiblesse des infrastructures sanitaires.

Le bilan

Au terme de la première déclaration d’état d’urgence en vue de gérer l’imminence de l’entrée sur le territoire national du coronavirus, la performance globale des autorités de l’État est pour le moins inquiétante. Elle est marquée du sceau de l’improvisation et caractérisée par un ensemble de faux mouvements qui déroutent les gens et font craindre une catastrophe sur tous les plans: humanitaire, économique, social.  De ces faux mouvements, il importe de relever les plus saillants:

1) Une absence d’image et de modèle: Partant du principe de communication qui veut que le messager soit le message, la présentation officielle du Chef de l’État et de son gouvernement le 19 mars a été un très mauvais signal de prise en charge de la crise. Au moment où le Président Moïse lançait l’appel au respect de la distance par précaution (social distanciating) d’1 mètre 50 entre les gens pour se protéger de la pandémie, les membres du gouvernement se massaient derrière lui dans un vilain tableau. Et, paradoxalement, l’un des ministres toussait sans cesse.

2) Le fait par le Chef de l’État de ne pas annoncer à la même occasion les mesures sociales  d’accompagnement des couches vulnérables de la population discrédite sa vision de la gestion de la crise. Y en avait-il d’ailleurs? En effet, aucune de celles annoncées par la suite ne sera mise en application jusqu’à présent.

3) L’approche communicationnelle privilégiée par le pouvoir, de par son caractère traditionnel, n’atteint pas la grande majorité de la population qui peine à comprendre que tout le monde est concerné par la pandémie. Cette stratégie de communication  n’implique pas les leaders communautaires, les comités de protection civile et ne peut en effet parvenir à des résultats tangibles.

4) Trois décisions du gouvernement affichent son incapacité et le manque de cohésion dans sa gestion de la crise: la mise en place au ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) de la Cellule de crise formée de représentants de  différentes directions, la Cellule  scientifique constituée à postériori et la Commission multisectorielle. Elles sont chargées quasiment de la même mission et n’ont aucun rapport, aucune synergie entre elles. Dans la gestion du COVID-19 le gouvernement  cafouille. Le Conseil Scientifique devrait être l’autorité de référence, un task force représentatif de tous les secteurs concernés de la vie nationale et au mandat plus élargi que celui qui lui est conféré par l’arrêté présidentiel d’assurer le suivi de l’évolution de la pandémie et de suggérer des mesures scientifiques de lutte. Il serait chargé sous la haute autorité du gouvernement de la gestion de la crise du coronavirus.

5 ) Absence de directives claires concernant la prise en charge des malades et des cadavres au début et plus tard émission de protocoles plutôt flous, inefficaces ne permettant pas au personnel  de santé d’intervenir dans les différentes phases de la pandémie, en s’acquittant de son devoir professionnel  avec moins de risque de contamination. Tout le pays devrait être informé des disponibilités matérielles pour leur prise en charge et des mesures à appliquer en cas d’atteinte du coronavirus.

6) Gestion peu transparente des dépenses relatives à la pandémie. La déclaration d’état d’urgence ne dispense pas le pouvoir en place de tout souci de contrôle. La transparence dans la gestion des finances publiques devraient être un « must » d’autant que le gouvernement souffre d’un grand déficit de crédit. Le montant de 105 millions de dollars  qui seraient débloqués pour effectuer en urgence des dépenses liées au COVID-19 est même dérisoire par rapport aux charges immenses à supporter, aux défis à relever. Toutefois, il est assez important pour susciter la méfiance des uns et des autres qui croient que les autorités responsables sont pour la plupart plus intéressées à détourner les fonds à leur profit qu’à les dépenser rationnellement au bénéfice de la population menacée. Un autre montant de 250 millions de gourdes, par ailleurs, a été débloqué pour assainir la zone métropolitaine et les grandes villes du pays. L’objectif peu clair défini par le gouvernement lui fait prêter le flanc aux nombreuses critiques qui tendent à inscrire la démarche dans une dynamique de financement des proches du pouvoir dans une perspective électoraliste.

7) Confinement et propagande politique. La campagne menée à travers les médias pour inviter la population à respecter la consigne de confinement (Restez chez vous!) est en contradiction flagrante avec le spectacle journalier offert par le gouvernement à travers l’Office National d’Identité Unique (ONI) qui encourage l’attroupement massif de gens indifférents au danger de contamination par le virus dans les différents postes de livraison de la carte d’identification nationale. La persistance des autorités à maintenir cette irrégularité malgré les dénonciations publiques  laisse croire qu’il s’agit d’une manœuvre déloyale perpétrée par l’équipe PHTK au pouvoir dans une perspective de conquête électorale. Cette thèse se trouve renforcée par la campagne de distribution dans les quartiers populaires de récipients (boquites) pour le lavage des mains avec la photo de madame la Première Dame Martine Moïse flanquée de l’armoirie nationale ou encore l’écriture du slogan « Ti rès la se pou pèp la » sur les pauvres kits de nourriture distribués dans l’indignité pour encadrer la population démunie au temps du coronavirus.

8) Aucune proposition d’alternative à la problématique du transport en commun et des marchés publics qui sont des vecteurs majeurs pouvant propager de manière vertigineuse la maladie. Comment peut-on prétendre vouloir combattre la propagation du virus sans avoir un plan rationnel qui garantisse l’éloignement physique des personnes dans les marchés et dans les véhicules de transport en commun (Tap-tap,  taxis, autobus, motocyclettes)?

9) Les ouvriers comme les écoliers et étudiants ont été invités à rester en confinement, et les parcs industriels, les centres d’enseignements ont été déclarés par le Président de la République  fermés jusqu’à nouvel ordre. Sans explication aucune, le Premier Ministre annonce que  les Parcs industriels recommencent le lundi 20 avril à fonctionner et les ouvriers reprendront leur boulot, probablement dans les mêmes conditions d’avant le 19 mars. Les parcs industriels sont localisés notamment dans les départements où les cas suspects de personnes contaminées sont les plus nombreux, soit l’Ouest (317 cas au 16 avril), le Nord et le Nord-Est (52 cas au 16 avril).  De son côté, la ministre de la Santé Publique avise que la menace de contamination est réelle et dans les prochains jours les cas d’infection peuvent se déclarer en très grand nombre.

10) Dernier faux pas gravissime en date du 9 avril du Premier Ministre qui confirme l’insouciance des autorités haïtiennes face au malheur des ressortissants haïtiens en terre étrangère. Telle une fin de non recevoir opposée à ces haïtiennes et haïtiens qui, pris de court par les mesures drastiques de confinement fermant les frontières de ces pays où ils se trouvent de passage en Amérique, en Europe ou en résidence  en République Dominicaine, sollicitent leur soutien pour rentrer chez eux, le Premier Ministre leur impose via le ministre des Affaires Etrangères  des conditions auxquelles ils ne peuvent pas répondre. En fait, le gouvernement les force à l’exil tandis qu’il collabore parfaitement avec les ambassades accréditées en Haïti pour faciliter le rapatriement de tous les étrangers qui souhaitent rentrer dans leur patelin. Quant aux compatriotes qui vivent en République Dominicaine et qui manifestent même bruyamment leur désir de rentrer, ils sont tout simplement ignorés.    

Le bilan est pour le moins inquiétant.

Le gouvernement renouvèle l’état d’urgence pour un mois sans une évaluation des mesures prises antérieurement et toujours sans directives claires. La pandémie a occulté tous les autres aspects de la gestion de l’État. Le pays allait déjà mal, qu’en sera-t-il après le COVID-19, dans trois mois ou dans six mois? 

Le post-Coronavirus

Les chiffres ne sont pas disponibles pour nous faire un tableau plus ou moins juste de la situation économique et sociale du pays. Néanmoins, même sans les statistiques, la situation sur le plan macro est préoccupante et pour les ménages, elle est  alarmante. L’État ne remplit aucune de ses fonctions principales: la sécurité et la fiscalité. L’économie est à genou: croissance du PIB négative, fermeture des entreprises, chômage quasi général. Les transferts d’argent de la diaspora, principale source de devises étrangères qui contribuent à environ 32% du PIB, seront, selon des prévisions optimistes, en régression d’environ 30% pour l’année. La monnaie nationale a franchi la barre d’une gourde pour un penny (un centime américain). Le peuple est aux abois. Des nuages sombres s’accumulent et l’horizon s’estompe à nos yeux……. Il importe que les dirigeants en charge de la gestion des affaires du pays apprécient à sa juste mesure l’état de la situation et tient compte de l’imminence du danger qui nous guette.

Néanmoins, sur le plan sanitaire pour revenir à la crise qui nous préoccupe, elle peut représenter une bonne opportunité pour:

1. penser un nouveau système de santé plus efficace, plus accessible à la population, plus à même de répondre aux chocs externes, et qui met l’emphase entre autres sur le développement interne des capacités de production de ressources humaines qualifiées, de médicaments, matériels et technologies médicales appropriés, de services de santé organisés autour des besoins des patients, d’un système d’informations sanitaires performant. Un système de santé où la Couverture Sanitaire Universelle sera la référence première et la santé considérée comme un droit humain, non plus comme une marchandise ou une faveur.

2. développer un réseau national de prise en charge des urgences sanitaires avec un mécanisme de financement explicite et pérenne. Ce qui, en plus de sa grande utilité, constituera une vitrine du système de soins qui, s’il est bien organisé, met en confiance la population. 

3. mobiliser les acteurs des secteurs associatifs santé, non santé (patron, syndicat, etc….), du secteur politique pour mettre la santé définitivement au centre des préoccupations de développement du pays et des priorités de l’État représentant de la société haïtienne en général. La déclaration du congrès d’Alma Ata (URSS) en 1978 encourage les pays en voie de développement  à consacrer 15% de leur budget national au secteur santé. Cette portion est d’environ 4% dans le dernier budget de l’État haïtien. 

4. prendre des dispositions concrètes pour combattre la corruption et le gaspillage dans le secteur, principal handicap à son développement. 

5. redonner au personnel de santé sa place et son importance dans le tissu social.

Il convient ici de saluer le sacrifice du personnel de santé haïtien. En Amérique et en Europe des professionnels haïtiens de la santé sont en première ligne et paient de leur vie leur engagement dans la lutte contre cette pandémie. En Haïti, l’anxiété est visible sur le visage de nos professionnels de santé face à l’absence de planification sérieuse du gouvernement haïtien. 

En conclusion, chaque situation critique porte en elle-même des opportunités, des semences de renouveau qu’il faut savoir décrypter et en tirer profit. La crise du Coronavirus peut bien être dans la mémoire collective des haïtiens un moment important de son histoire de peuple. Il serait, néanmoins, malsain et politiquement contreproductif de vouloir utiliser cette crise à des fins politiciennes pour se maintenir au pouvoir en se servant de la peur et de la vulnérabilité de la population.

FIN