LE PRÉSIDENT PARLE D’ÉLECTION: DES ÉLECTIONS, POUR QUI ET QUAND?

Dans son discours commémoratif du 18 mai dernier, loin de la cité du drapeau, mais, Coronavirus oblige, depuis les jardins du palais national, le président Jovenel Moïse ouvre le débat public sur la tenue prochaine des élections en faisant le décompte de ses jours au pouvoir par rapport au mandat de cinq ans octroyé au Président de la République. Depuis, l’actualité est partagée entre les informations sur l’évolution de la pandémie du Coronavirus et les prises de parole sur la date de fin de mandat du président (7 février 2021 versus 7 février 2022) et la pertinence de l’organisation des élections par le pouvoir en place à la fin de cette année 2020.

Des deux côtés de l’arène politique: du gouvernement (entendez de la présidence) ou de l’opposition et des secteurs organisés de la société civile, chacun apporte son analyse, ses arguments juridiques ou politiques pour justifier sa position. L’absence d’une instance compétente telle que le Conseil Constitutionnel se fait rudement sentir. Mais, il faut le dire, ici, la politique se fait en dehors de tout cadre règlementaire. Tout semble, cependant, indiquer que les conditions ne sont nullement réunies pour l’organisation d’élections quelconques dans le courant de cette année marquée des plus grandes incertitudes. Le gouvernement vient tout juste de renouveler l’état d’urgence et par décret interdire toute forme de réunion de plus de cinq personnes sous peine de sanctions. Or dans les conditions idéales, un Conseil Électoral légitime, faisant consensus, doit compter huit (8) à dix (10) mois pour réaliser des élections crédibles, acceptables, non contestées.

Le Président est mal pris

Les jours du Président Jovenel Moïse au pouvoir sont comptés désormais à rebours dans le calcul des cinq ans du mandat constitutionnel. Pour l’équipe au pouvoir, tenant de la thèse du temps électoral, la durée du mandat présidentiel court à partir de la date de prestation de serment du Chef de l’État, soit le 7 février 2017 pour prendre fin le 7 février 2022. Pour les défenseurs du temps constitutionnel, de plus en plus nombreux dans divers secteurs organisés de la société civile et la totalité des expressions de l’opposition politique, la durée du mandat du président est de cinq ans. Elle commence à partir de l’année de son élection en référence aux articles 134.1 et 134.2 de la Constitution qui est par nature d’application stricte.

Prisonnier de ses calculs étriqués visant l’accaparement total du pouvoir, de ses ambitions et de ses engagements envers ses bailleurs, le Président Moïse dont la légitimité ne tient qu’à ses supports dans la communauté internationale, est mal barré. Chargé de la bonne marche des institutions, il a laissé couler le temps au mépris des échéances constitutionnelles de renouvellement du personnel politique au Sénat et à la Chambre des députés. Le mandat des organes des collectivités territoriales (Casec, Asec, Délégués de Ville, Maires), arrive à terme sans que les élections ne soient organisées. Le voilà seul détenteur de tous les pouvoirs. Ce qui embarrasse, on comprend bien, ses supporteurs. Car la démocratie même en situation de détresse comme elle se vit ici a ses exigences. Il a apparemment réussi son jeu. Eh non! bien joué mal calculé. Sans compter avec la contestation populaire, la hargne cumulée dont on ne peut prévoir les débordements, la pandémie du Coronavirus s’est invitée dans la partie. Personne n’est maître du temps. Le Président ne pourra organiser aucune élection ni législative ni territoriale, voire présidentielle. Comme dit la malice populaire: « Jou bare l ». Son temps est compté. Les mises en place effectuées se révèleront vaines.

Mise en place d’un gouvernement de facto

De la mise en échec des négociations pour la conclusion d’un accord politique entre les différentes représentations des forces politiques majeures et des secteurs organisés de la société civile, en vue de trouver un consensus global pour sortir durablement de la transition marquée par des crises à répétition, en passant par la déclaration de caducité du Parlement le 13 janvier 2020, à la mise en place le 3 mars dernier d’un gouvernement de facto sans aucune base de légitimité, le Président a le vent en pourpre et ne semble pas se rendre compte qu’il va droit dans le mur. Dans une conjoncture aussi compliquée et difficile, sans un minimum de consensus rien ne peut tenir. Le rapport de force ne suffit pas pour vaincre les difficultés et imposer ses choix. Tout indique que ce cinquième gouvernement de l’ère Moïse n’est qu’une bravade.

Dans la foulée, vient la maladie du Coronavirus, la COVID-19. L’Exécutif se frotte les mains: une chance inouïe. Face à la pandémie, au nom du bon sens, de l’intérêt général, du bien-être collectif, les divergences s’estompent, les oppositions se taisent pour faciliter à l’État représenté par le gouvernement, la gestion efficace de la crise sanitaire. La COVID-19 confère donc au nouveau gouvernement une certaine légitimité. Tout un ensemble de mesures est pris et mis en application. L’état d’urgence est décrété. Le gouvernement se donne les pleins pouvoirs pour contourner les mécanismes de contrôle, décaisser des montants faramineux d’argent en dehors des règles de passation de marché, sans même solliciter un avis de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA), les dépenser dans une totale opacité.

L’opposition politique ainsi que les voix engagées de la société civile maintiennent la trêve et laissent libre champ au pouvoir pour mener à bien la politique du gouvernement contre la COVID-19 en dépit des suspicions de corruption qui entourent ces actions. Parallèlement, le Président et son entourage préparent le prochain coup. La mèche sera vendue par une entité politique alliée au pouvoir lors de son assemblée générale tenue en pleine période de confinement: face à l’échec flagrant du régime Tèt Kale au pouvoir depuis huit ans, des élections au plus tôt et par tous les moyens sous l’égide de Jovenel Moïse aux affaires pour pouvoir sauver la mise.

Aucun acteur politique, aucun citoyen éveillé aux affaires publiques ne saurait laisser faire et accorder carte blanche à un gouvernement de facto, mis en place de manière unilatérale par un Chef d’État décrié, en marge de la Constitution. L’idée d’organiser des élections cette année, en pleine crise de COVID_19, après avoir ignoré les échéances constitutionnelles relatives au renouvellement de deux tiers du Sénat, de la Chambre des députés au complet et des organes des collectivités territoriales, est un acte désespéré pour créer la diversion et tenter de faire passer au second plan l’échéance du mandat du Président lui-même qui arrive à terme le 7 février 2021 conformément aux prescrits de la Constitution.

Comme son prédécesseur, Jovenel Moïse n’aura organisé aucune élection durant son mandat. Un bilan politique désastreux du régime. L’opinion publique retient en général de la gestion des affaires publiques par le PHTK: la jouissance du pouvoir, la dilapidation des maigres ressources de l’État, la pratique de la corruption élevée au plus haut niveau, l’affaiblissement systématique de la force nationale de police au profit du renforcement de gangs armés éparpillés sur l’ensemble du territoire national, une croissance négative de la production, l’atrophie de l’économie nationale, la chute accélérée de la monnaie nationale et par conséquent la dégradation totale des conditions de vie de la population et l’aggravation de la misère.

Le prix de la mauvaise gouvernance

La facture est lourde. Le Premier ministre témoigne publiquement de l’inexistence de l’État. L’équipe au pouvoir ne dirige rien, mais ils s’y accrochent pour les privilèges et surtout pour protéger leurs arrières. Car ils ont compte à rendre, et ils le savent, pour tout le malheur causé à ce pays. La responsabilité première d’un Chef d’État n’est-ce pas d’assurer la gestion optimale du territoire national, le fonctionnement permanent et régulier des institutions, la sécurité et le bien-être de la population? Le Président Jovenel Moïse peut toujours s’offrir des boucs émissaires pour expliquer l’échec de sa caravane du développement, de son projet de réforme énergétique, de ses grands chantiers d’infrastructures routières et aéroportuaires, mais qui l’a vraiment empêché de réaliser les élections, de doter la République d’un budget, de réformer l’État en proposant des amendements à la Constitution quand il avait, du commencement à la fin de la 50ème législature, une majorité confortable à son service dans les deux chambres du Parlement? Depuis deux ans, il laisse pourrir une situation de crise sociale et politique qui entraîne dans son sillage beaucoup de pertes en vies humaines, en biens matériels, en devises étrangères et qui achève d’asphyxier l’économie du pays. 

Plusieurs occasions ont été offertes à monsieur Moïse de trouver un accord politique avec l’opposition et de sortir le pays du marasme. Son manque de vision, ses réflexes claniques, ses attaches aux forces d’argent qui l’ont hissé au pouvoir ont bloqué toute possibilité d’entente. Le pays a payé un lourd fardeau de cette gestion désastreuse des affaires de l’État. Il en a marre et la population le crie sur tous les tons, notamment, les jeunes qui demandent des comptes. Ils veulent au plus tôt se débarrasser de ce régime dit de « bandits ». C’est pourquoi le Président s’active auprès de la communauté internationale  pour obtenir son soutien dans son projet d’organiser des élections à tout prix. Mais, il est déjà trop tard.

Un raté dans la stratégie

L’annonce du chantier électoral faite par le Président Jovenel Moïse le 18 mai dernier, rentre dans le cadre du projet PHTK de s’emparer à nouveau des rênes de l’État. « Nou pran l, nou pran l nèt ». Le Président entend tirer avantage de ses investissements dans l’enrichissement illicite de partenaires politiques et d’alliés du secteur privé des affaires, du contrôle assuré de la plupart des gangs qui opèrent dans la région métropolitaine, du retour d’ascenseur qu’il attend encore et toujours de ses soutiens étrangers notamment américains. Il réunit ainsi les éléments de la stratégie des « bandits » pour se perpétuer au pouvoir et continuer le bradage des maigres ressources du pays au détriment des générations futures. Tout semble à point, mais le temps est court. D’où cette fuite en avant, cet appel désespéré aux « amis » étrangers pour aider à organiser les élections et les valider sans consultation aucune avec les nationaux. Le Président et le gouvernement ne s’embarrassent pas de scrupules, pour eux ce qui importe, c’est la bénédiction de l’Internationale. Les élections, c’est une affaire entre le pouvoir et la communauté internationale d’abord.
On peut de ce fait se permettre n’importe quoi, la fin justifiant les moyens.

Rien n’est jamais totalement acquis. Dans le jeu dynamique des forces en présence, le temps est un facteur particulièrement important. C’est ce qui fait courir Jovenel Moïse. Quelque ambitieux que puisse être son projet, ses prétentions sont limitées dans le temps et ne peuvent atteindre les objectifs rêvés. Un raté dans la stratégie du pouvoir « ki kite twò ta bare l ».  Des élections, oui. En 2021, dans de bonnes conditions et avec un gouvernement légitime, un Conseil électoral de consensus, un registre électoral fiable, pour renouveler l’ensemble du personnel politique et partir sur de nouvelles bases visant la refondation de l’État.

L’OPL en appelle à tous les acteurs de la société pour faire échec à ce projet infâme. Elle reste attachée aux idéaux démocratiques et à la lutte pour l’épanouissement dans ce pays d’un État de droit garant du développement économique et du progrès social.

L’OPL croit inexorablement que le chantier électoral reste la voie qui, en fin de compte, permettra de sortir du labyrinthe des coups tordus en politique et initier une ère d’apaisement social, de relance économique pour le bonheur des citoyennes et citoyens partout sur le territoire national. Ces élections doivent être, sans embage, de libres compétitions qui ne tendent pas à diviser la société, désorganiser l’État et miner les fondements du vivre-ensemble. Elles ne peuvent nullement être organisées dans les conditions actuelles  d’un gouvernement sans légitimé, un conseil électoral fruit d’un accord périmé, un environnement sécuritaire marqué par la peur. De plus, le cadre règlementaire doit faire l’objet d’un consensus suffisant entre les acteurs appelés à concourir enlevant toute suspicion sur les données de la nouvelle carte électorale.

Le temps est à la vigilance citoyenne