Organisation du Peuple en Lutte, Éditorial #4, 14 juin 2020
Une épidémie de Coronavirus sous forme d’un Syndrome Respiratoire Aigüe Sévère (SRAS-COV2) provoquant la maladie appelée COVID-19 a débuté à Wuhan dans la province de Hubei en Chine, au mois de novembre 2019, pour se propager rapidement dans le monde entier dès les premiers mois de l’année 2020. Depuis le 19 mars, la pandémie a franchi officiellement les frontières de la République d’Haïti. Elle a déjà infecté plus de sept millions quatre cents mille (7.400.000) personnes de tout rang, de toute catégorie et causé la mort de plus de quatre cent vingt-cinq mille (420.000) dans le monde, selon un bilan établi par l’Agence France Presse (AFP) en date du 13 juin 2020. Elle domine l’actualité partout et représente l’une des plus grandes préoccupations des instances décisionnelles de la planète. Elle se trouve au cœur des politiques publiques de nombreux gouvernements.
Néanmoins, en Haïti, trois mois plus tard, les mesures adoptées par le gouvernement (sorte de calque des dispositions prises dans d’autres pays plus équipés techniquement, mieux dotés en moyens financiers et humains) semblent répondre à des préoccupations autres que la maîtrise de l’évolution de la pandémie, sa propagation et la protection effective de la population contre le CORONAVIRUS. À date, les données officielles publiées par le MSPP (Ministère de la Santé Publique et de la Population) révèlent plus de quatre mille (4.000) cas d’infection et soixante-dix (70) décès. Ces chiffres sont très éloignés de la réalité. Par faute de formation et de sensibilisation, la population développe une stigmatisation par rapport à la maladie au point que la plupart des symptômes de la COVID-19 sont cachés.
Ceux qui en sont affectés les minimisent pour éviter que la mauvaise nouvelle ne soit connue. C’est le cas dans plusieurs régions du pays. Dans un tweet annonçant le 6 juin dernier la mort de son père, l’artiste Darline Desca met en garde les sceptiques: La pandémie, dit-elle, est une réalité. Elle fait des ravages dans la ville du Cap. Dans la région de la capitale plusieurs quartiers tels que: Carrefour-feuilles, Canapé-Vert (Ste Marie), Fort National, Delmas 2 à Delmas 24, Maïs Gâté, Juvénat…. sont fortement touchés. Très peu de gens présentant les symptômes de la pandémie ou assimilables se rendent dans un centre de santé ou une clinique. Ils se tournent vers les recettes de la médecine traditionnelle faites de tisane, concoction, inhalation, gargarisme.. qui se révèlent efficaces. Combien de morts dans ce contexte devraient être portés au compte de la pandémie? Les autorités sanitaires ne peuvent pas le dire. Les chiffres sont en progression chaque jour, mais la Cellule Scientifique déclare n’être pas en mesure de préciser s’il s’agit du pic qu’elle prévoyait entre les mois de mai et juillet.
De son côté, le gouvernement longtemps dépassé, envisage la reprise formelle des activités et dans le même temps publie un protocole de prise en charge des cadavres des personnes frappées par le Coronavirus. Ce qui fait penser aux déclarations prémonitoires du ministre des Travaux Publics dans les premiers jours de la propagation du virus. Le ministre prévoyait en effet, que l’État pourrait, à un certain moment, enterrer entre 1000 à 1500 cadavres par jour dans des fosses communes.
Les agissements contradictoires du gouvernement haïtien dans la gestion de la COVID-19 suscitent des suspicions, justifient les interrogations nombreuses de gens informés concernant cette attitude équivoque des autorités sanitaires relative à une stratégie réelle de prévention de la pandémie. Le gouvernement a-t-il une stratégie pour enrayer la propagation de la COVID-19? C’est pour le moins quelques interrogations d’observateurs. L’on doute fort qu’il y en ait une. Ou peut-être que si. À l’OPL on est très préoccupé. On se demande, vu le cynisme de l’équipe au pouvoir : Et si le gouvernement avait opté pour l’IMMUNITÉ COLLECTIVE dans la gestion de la COVID-19 sans en dire mot?
*L’immunité dans le contexte de la pandémie*
Qu’elle soit grégaire ou de communauté, collective, de groupe, l’immunité est le phénomène par lequel la propagation d’une maladie contagieuse peut être enrayée dans une population si un certain pourcentage des individus est immunisé soit par vaccination, soit parce qu’après avoir été contaminé ils n’ont pas développé la maladie ou en ont guéri (wikipedia.fr). Des scientifiques du monde médical assurent que pour obtenir l’immunité collective, il faut vacciner plus de 80% de la population ou laisser la contagion atteindre la quasi-totalité de la population. Aucune politique claire de prévention ni de prise en charge n’est définie en trois mois de confinement et d’État d’urgence décrété et renouvelé par le gouvernement, et vu qu’aucun vaccin n’est encore disponible, le pouvoir en place semble jouer la carte de l’immunité collective au prix d’une contamination à grande échelle de la population et d’un nombre considérable de décès.
Les mesures prises comportent de grands déficits. En plus d’être en décalage par rapport au vécu de la population, elles sont caractérisées par des atermoiements et un manque flagrant de détermination dans leur mise en application. Il n’est observé aucun contrôle véritable du mouvement de la population, de ses aptitudes à respecter les consignes. Les déplacements en transport public interurbain ou à l’intérieur des villes, le retour massif d’environ vingt mille (20.000) haïtiens fuyant l’expansion accélérée de la pandémie dans la République voisine illustrent la gestion insouciante du gouvernement de ce qui s’annonce comme une catastrophe. Les dépenses de l’ordre de plusieurs dizaines de millions de dollars effectuées ne contribuent guère au renforcement du système de santé: sa capacité d’accueil, ses services d’urgence, la protection du personnel soignant, l’amélioration de la gouvernance, la recherche en phytothérapie. Ces indices pris ensemble témoignent d’un plan inavoué dans la gestion de la COVID-19.
*Le plan du pouvoir Tèt Kale aux dépens de la population*
Le contexte culturel et socio économique en Haïti se prête difficilement à l’application de la quarantaine volontaire, du confinement, de la distanciation par précaution, de la fermeture des entreprises etc… Il fallait s’y prendre autrement selon la réalité quotidienne des communautés.
En réalité, la principale cause de l’échec du gouvernement dans la gestion de la pandémie réside dans son protocole de prise en charge bâclé. Quel est le circuit du patient atteint de COVID-19, pour quel protocole de prise en charge ?
L’absence de réponse claire à cette question occasionne un gâchis dans la stratégie de communication à la communauté et au patient. Le slogan qui prévaut en Haïti en ces temps de pandémie en dit long : « Si JOVENEL le dit, donc c’est faux ». Même au niveau de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les positions arrêtées et les rétractations sont légions, notamment sur le port des masques et l’utilisation de la chloroquine et des anti-inflammatoires non stéroïdiens dans le traitement de la maladie. Le dépistage et le traçage des contacts sont perturbés par le manque de collaboration de la communauté par peur de stigmatisation. Ce qui entraîne une désorganisation totale de la prise en charge des patients dépistés. N’importe quel patient présentant des symptômes devrait pouvoir se présenter dans une institution de santé à sa guise et cette institution de santé devrait, suivant la définition de cas, organiser le dépistage, la prise en charge, la référence éventuelle, etc… tout cela, en coordination avec les directions sanitaires, selon leur juridiction. Voilà, ce qui n’a pas été conçu à date. Demandez à une personne testée positif (+) pour COVID-19 et isolée à la maison, ce qui lui est proposé comme prise en charge et vous aurez les détails. Ce qui a fait dire à un journaliste de la place que «la prise en charge prônée par le MSPP est à l’agonie».
Tous les acteurs du secteur de la santé sont d’avis que la réponse à l’épidémie due au CORONAVIRUS en Haïti devrait être communautaire dans un cadre de partenariat entre les secteurs public et privé. Seul le gouvernement n’a pas voulu l’entendre de cette oreille. Quelle est donc la place de la solidarité de la communauté par rapport aux déterminants de la santé dans le contexte de la pandémie à la COVID-19? Cette solidarité devrait être organisée, encouragée pour être propagée.
Aucune action d’envergure de support à la population (même aux plus défavorisés) n’est à souligner. Même les trois mille *(3.000)* gourdes promises en transfert par MonCash au million cinq cent mille (1.500.000) familles ne sont un fait réel de soutien aux plus vulnérables. Personne y croit. Cette activité s’apparente beaucoup plus à une manœuvre électorale ou un artifice de détournement de fonds. Sans recours, sachant l’état d’indigence des infrastructures sanitaires de la République, la communauté haïtienne se tourne pour le préventif comme pour le curatif vers les vertus de la médecine traditionnelle. Il n’y a pas de doute que tout choix stratégique de valoriser la pharmacopée naturelle du terroir haïtien donnerait un sens à l’option d’immunité communautaire faite en cachette par le gouvernement. Mais loin de toute pensée rationnelle, la catastrophe a été annoncée à coup de propagande pour faire peur au peuple haïtien plutôt que de l’informer, de l’éduquer pour se prendre en charge individuellement et collectivement. Ce gouvernement n’a aucune écoute dans la population. Et comme l’a avoué le Premier Ministre Joseph Jouthe, il ne dirige rien.
Tout compte fait, en se préparant à compter les morts par milliers ou même par dizaine de milliers, le gouvernement haïtien avait, dès le début, fait choix de l’immunité de communauté ou immunité collective comme seul moyen de faire face à la pandémie COVID-19.
*Le mauvais choix d’un pouvoir prédateur*
Dans les conditions appropriées et dans le cas d’un État gouverné par des autorités responsables, soucieuses du bienêtre de la population, le choix de l’immunité collective aurait été la bonne option pour Haïti. Plusieurs spécialistes en santé publique partagent cet avis. Un tel choix, moyennant un encadrement motivant de la population par les agents publics et la mise à profit des connaissances avérées en médecine naturelle par un large pan de la population, réduirait les dépenses énormes à supporter par l’État pour faire face à la pandémie.
Aussi, l’OPL se demande-t-elle, sur le choix caché du gouvernement et face à son échec, pourquoi avoir déjà vainement dépensé environ cinquante-six millions *(56.000.000)* de dollars qui auraient mieux servi à réduire l’insécurité alimentaire qui ronge déjà plus de quatre millions *(4.000.000)* d’haïtiens?
Fin.