Pour dire non à la politique de camouflage du Bureau Intégré des Nations unies en Haïti (BINUH)

Pour dire non à la politique de camouflage du

Bureau Intégré des Nations unies en Haïti (BINUH)

Le 28 juin 2020, l’OPL et d’aures partis et organisations politiques de l’opposition ont adressé une correspondance au Secrétaire Général des Nations unies, Monsieur Antonio GUTERRES, pour exprimer leurs préoccupations suite à la présentation à la réunion du Conseil de Sécurité tenue le 19 juin dernier, de son rapport sur la situation en Haïti.

Dans cette adresse, les partis et organisations signataires mettent particulièrement en exergue les points suivants :

1- L’échec des Nations Unies en Haïti à travers ses diverses missions de stabilisation et de développement de 1990 à 2020;

2- Le caractère irréaliste du dernier rapport eu égard à la réalité du pays en terme de gouvernance;

3- L’appui à peine voilée de la Représentante du Secrétaire Général, madame Meagher Helen Lalime, Coordonatrice du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) à la construction d’un état de fait que voudrait imposer le Président Jovenel Moïse à travers une révision constitutionnelle hors norme et l’organisation d’une farce électorale.

4- Un éclairage pour le Secrétaire Général sur certaines omissions relevées dans le rapport comme la mauvaise foi de l’équipe au pouvoir manifestée dans l’échec du processus de dialogue inter haïtien dans la perspective d’une résolution durable de la crise sociopolitique, l’occupation du territoire national par des gangs armés récemment fédérés au niveau de la région métropolitaine en une organisation dénommée « G-9 an Fanmi » et la terreur qu’ils répandent au su et au vu du gouvernement.

C’est, en guise d’éditorial, cette correspondance que TANBOU VERITE présente in extenso dans son 5e numéro à ses cher.e s lecteurs et lectrices pour cette fin du mois de juin 2020.

Monsieur Antonio GUTERRES
Secrétaire Général des Nations Unies,
En ses bureaux

Monsieur le Secrétaire Général,

Les partis politiques signataires de la présente note vous saluent très cordialement. Ils prennent occasion pour souligner à votre attention leurs préoccupations après la présentation de votre rapport à la réunion du Conseil de Sécurité sur Haïti le 19 juin dernier eu égard à la mission assignée au Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH).

Depuis 1990, les Nations Unies maintiennent en Haïti sous diverses appellations des missions de maintien de la paix. Le 16 octobre 2019, le Conseil de Sécurité a décidé de mettre en place le BINUH pour une période initiale de douze mois. La mission qui lui est assignée reste invariable : instaurer une stabilité permanente en Haïti de manière à atteindre les objectifs du développement durable au regard de la pauvreté, des inégalités, du climat, de la dégradation de l’environnement, de la prospérité, de la paix et de la justice à l’horizon 2030. A ce compte, le Secrétaire Général devrait soumettre, chaque 120 jours, un compte rendu sur l’évolution de la situation en tenant compte de l’application de la résolution, des cas de non exécution et des mesures prises pour y remédier.

C’est dans ce contexte, Monsieur le Secrétaire Général, qu’a été présenté devant le Conseil de Sécurité le rapport de la mission sur la situation en Haïti. Ce rapport porte sur les points suivants :

Politique et bonne gouvernance
Lutte contre la violence de proximité
Justice et Etat de Droit
Droit de la personne
Chômage, jeunesse et groupes vulnérables
Services sociaux de base et résilience des ménages
Dispositif opérationnel et intégration
Exploitations et atteintes sexuelles
Observations
On peine à croire que le rapport a été conçu en conformité avec les exigences contenues dans la mission du BINUH. Considérons de plus prés les trois premiers points du rapport : Politique et bonne gouvernance, Lutte contre la violence de proximité, Justice et Etat de Droit.

Politique et bonne gouvernance

Ce premier point traite de la pandémie du CORONAVIRUS en Haïti et des mesures prises par le gouvernement ; du dysfonctionnement des institutions de l’Etat, des efforts du Président Jovenel Moise pour parvenir à un consensus politique et de ses difficultés à élaborer un programme ambitieux de reformes et de relance de l’économie; de l’apport du BINUH dans la mise en œuvre d’un projet de révision de la Constitution et de tenue prochaine d’élections législatives et locales.

Monsieur le Secrétaire Général,

Le plan de gestion de la COVID-19 (s’il y a effectivement eu un plan élaboré et assumé) a plutôt constitué en des mesures disparates destinées à servir les intérêts de l’Exécutif. À la suite du lancement de la campagne nationale de nettoyage le jeudi 2 avril 2020 dans les locaux du ministère de la Communication, l’actuel Ministre des Travaux publics, Transport et Communication tablait sur le recensement d’ici le 15 mai, de 1000 à 1500 morts par jour dans le pays. La stratégie adoptée, associée au mode actuel de gestion de cette crise par les autorités gouvernementales, dénote très clairement une poursuite volontaire et délibérée du laissez-faire face à une contamination massive et, par ricochet, l’acceptation anticipée d’un fort taux de décès. Le budget préparé par les autorités gouvernementales ressemble bien à un exercice élémentaire de pose de chiffres en ignorant totalement certaines réalités cruciales. Comment juger de la crédibilité d’un budget de plan de réponse quand ses premières lignes consacrent plus de 120 millions de gourdes à l’acquisition de téléviseurs, de réfrigérateurs, de jeux de couverts…? Pourtant, les autorités invitent la population au port du masque sans aucune prévision d’acquisition au dit budget.

Selon le BINUH, « les autorités ont encore grande peine à ouvrir des centres médicaux dédiés au traitement des patients atteints de Covid-19. Pays de plus de onze millions d’habitants, Haïti n’a actuellement la capacité de traiter que quelques centaines de patients à la fois, même si de nouveaux lits se libèrent chaque jour ». Et pourtant, « l’État Haïtien a placé une commande de plus de 18 millions de dollars pour l’acquisition de matériel hospitalier conformément au plan de préparation de réponse du MSPP au CORONAVIRUS auprès de la firme Bowang Co. Cette commande, une première partie d’une plus globale de 27 millions, doit arriver en Haïti par avion autour du 10 avril ». (Propos du Premier Ministre actuel recueillis par le Nouvelliste dans sa publication en date du 30 Mars 2020)

Politique et Gouvernance !
La Constitution de 1987 amendée est élaborée dans le souci d’une politique claire et transparente d’équilibre entre les trois pouvoirs de l’état. Qu’est-ce qui pourrait justifier alors dans le contexte actuel l’absence du parlement? Pourtant, le rapport en fait mention comme s’il s’agissait d’un mode de fonctionnement de la démocratie (donc normal).

Ce manquement conduit à la concentration des pouvoirs aux mains d’un seul représentant de l’Etat: le président de la République. II met en place, seul, un gouvernement de facto, fait publier des décrets en prétextant du dysfonctionnement du parlement. Il revient, ici, de se poser clairement la question suivante: le Pouvoir Exécutif en place, a-t-il organisé régulièrement les élections comme le veut la Constitution?

Le Président de la République à qui il incombe la noble tâche de veiller au bon fonctionnement des institutions a délibérément choisi de ne pas organiser les élections pour renouveler un premier tiers du sénat en octobre 2017, un second tiers du sénat en octobre 2019, et à cette même date la chambre des députés dans son ensemble. Depuis le mois de janvier 2020, le Président gouverne sans contre-pouvoir, par décret, ce que la constitution ne lui permet pas de faire.

Démocratie et bonne gouvernance marchent de pair dans le respect des prescrits constitutionnels. La bonne gouvernance recouvre aussi bien la capacité du gouvernement à gérer efficacement ses ressources, à mettre en œuvre des politiques pertinentes, que le respect des citoyens et de l’État pour les institutions, ainsi que l’existence d’un contrôle démocratique sur les agents chargés de l’autorité.

Monsieur le Secrétaire Général,

Le deuxième point du rapport, lutte contre la violence de proximité, fait état de la hausse générale de la criminalité, de la violence et de l’insécurité au cours des premiers mois de 2020 ainsi que de la collaboration du BINUH et du PNUD avec les autorités nationales dans le cadre d’un projet de fonds pour la consolidation de la paix.

Depuis le retour à l’ordre constitutionnel en l’année 1994, la lutte contre la violence de proximité a été engagée par les Nations Unies. Aujourd’hui encore, le même problème, en prenant des dimensions inimaginables, se pose dans toute son acuité. Que peut faire une Commission haïtienne de désarmement, de démobilisation et de réinsertion face à ce fléau ? L’organisation mondiale sait que cette entité était déjà créée sous la présidence de feu le président René Préval et que la montagne avait accouché d’une souris.

Les Nations Unies, le Conseil de Sécurité, sont-ils préoccupés de ce qui se passe dans le pays concernant l’occupation du territoire par les gangs armés et la terreur qu’ils répandent au su et au vu du gouvernement ?

Les Nations Unies et le Haut Commissariat des Droits de l’Homme ont produit un rapport « sur les allégations de violations et abus des droits de l’homme lors des attaques dans le quartier de Bel-Air, à Port-au-Prince, du 4 au 6 novembre 2019 ». Dans le résumé exécutif, ils relatent qu’ « environ 30 résidences et 11 voitures ont été incendiées au cours de ces incidents. Deux des décès [enregistrés] sont attribués à des agents de la Police nationale d’Haïti résidant dans le quartier de Bel-Air et qui n’étaient pas en service au moment des faits. Trois membres actifs de la Police nationale d’Haïti auraient également participé aux attaques aux côtés des gangs ». Un représentant des autorités aurait proposé la somme de cinq millions de gourdes aux cinq (5) représentants d’organisations locales pour attaquer les riverains du Bel Air. De plus, ils relatent que la Police nationale d’Haïti, bien qu’informée des attaques, n’est pas intervenue alors que le quartier du Bel Air est entouré de postes de police.

Monsieur le Secrétaire Général,

Le troisième point du rapport , »Justice et État de Droit”, traite des actions du BINUH et d’autres organismes compétents des Nations Unies visant au renforcement du système judiciaire dans le contexte de la pandémie et des effets de cette dernière sur le système carcéral: l’administration pénitentiaire et les détenus. Il fait état des graves difficultés financières de l’unique force de sécurité du pays la PNH et de la nomination d’un nouveau directeur à la Direction de l’inspection judiciaire du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire le 19 mars 2020.

Dans son approche particulière, le rapport a amoindri considérablement la notion de « Justice et État de Droit ».

Selon les Nations Unies, dans le Rapport du Secrétaire Général sur le rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit (S/2004/616)), L’État de Droit est décrit comme «un principe de gouvernance en vertu duquel l’ensemble des individus, des institutions et des entités publiques et privées, y compris l’État lui-même, ont à répondre de l’observation de lois promulguées publiquement, appliquées de façon identique pour tous et administrées de manière indépendante, et compatibles avec les règles et normes internationales en matière de droits de l’homme. Il implique, d’autre part, des mesures propres à assurer le respect des principes de la primauté du droit, de l’égalité devant la loi, de la responsabilité au regard de la loi, de l’équité dans l’application de la loi, de la séparation des pouvoirs, de la participation à la prise de décisions, de la sécurité juridique, du refus de l’arbitraire et de la transparence des procédures et des processus législatifs».

Pourquoi alors ce silence sur l’inexistence des contre-pouvoirs? Pourquoi ne pas avoir mentionné l’arbitraire, l’omnipotence de l’Exécutif? Pourquoi se taire sur le dysfonctionnement de la Justice et les différentes violations de la Constitution par le Pouvoir Exécutif dans le contexte actuel?

Monsieur le Secrétaire Général,

Les Partis et regroupements de Partis Politiques signataires de la présente, prennent acte de l’ensemble des considérations concernant la lutte contre la COVID-19 et les principaux objectifs de la BINUH en Haïti portant sur des observations factuelles.

Le rapport présenté devant le Conseil de Sécurité, cependant, fait tient pas compte de deux facteurs importants, primordiaux, dans la compréhension de la crise qui secoue actuellement Haïti.
Le premier concerne l’échec des négociations entamées sous l’égide du BINUH en collaboration avec la Nonciature Apostolique. À aucun moment, il n’est fait mention de la mauvaise foi de l’équipe de la Présidence qui s’est toujours refusée à mettre sur la table des discussions l’une des revendications principales des forces politiques et des représentations de secteurs de la société civile, exception faite des groupes associés au pouvoir, à savoir le mandat présidentiel.
C’est pourtant l’une des raisons fondamentales de l’échec des pourparlers. Aujourd’hui, juristes, universitaires de toutes tendances argumentent, à partir d’analyses sérieuses de la Constitution et du décret électoral, que le mandat du Président Jovenel Moïse prendra fin le 7 février 2021 alors que celui-ci prétend rester au pouvoir jusqu’en 2022. Cette question de la date du départ de l’actuel président est escamotée. Elle met en question la validité de tous les efforts de relance du dialogue national.
Le second facteur qui n’est pas pris en compte dans le rapport est la perception que l’on peut avancer vers l’organisation des indispensables élections pour retourner à une stabilité institutionnelle, à partir de démarches connexes sur la livraison de cartes électorales ou sur la réforme constitutionnelle alors qu’il est évident que l’Exécutif n’a ni les moyens ni la crédibilité pour avancer dans ces domaines si délicats qui permettraient d’assurer la transparence et l’honnêteté de joutes électorales inclusives.
Monsieur Jovenel Moïse, Président de la République, seul maître à bord, avance sans balises, sans garde-fous avec un agenda à peine voilé.
L’implication, désormais prouvée, de l’Exécutif dans le soutien à certains gangs armés pour le contrôle de zones à fort potentiel électoral n’est pas non plus suffisamment signalée dans le rapport, ce qui met en cause l’un des objectifs majeurs de la mission en Haïti qui est le rétablissement et le maintien de la sécurité. A ce sujet, Jimmy Chérizier, alias Barbecue, ex-policier, chef de gang recherché par la Police, a le 23 Juin 2020, fédéré avec force publicité des groupes armés baptisés « G-9 An fanmi ». Il s’agit d’une coalition de neuf chefs de gangs. Dans son rapport paru le mardi 23 Juin, le Réseau National de Défense des Droits de l’Homme (RNDDH) souligne que « le G-9 est aujourd’hui puissant au niveau du pouvoir. Ses membres participent à des rencontres de haut niveau, sont consultés par les autorités étatiques et leurs conseils sont pris en compte“. Le RNDDH exige la fin de la protection des gangs en Haïti par le pouvoir en place.

Monsieur le Secrétaire Général,
En ignorant les dispositions constitutionnelles, en faisant fi du cadre réglementaire de fonctionnement des institutions de l’État, en s’écartant délibérément des principes de la Charte des Nations Unies, en ayant une conception étroite et partiale de la démocratie, la République s’en va sûrement, inévitablement dans les prochains mois, à la reprise des activités post COVID-19, vers un retour d’actions des citoyennes et citoyens désabusés, refusant d’accepter ce grand désordre prémédité. Cela risque de tout chambouler. Il est donc indispensable que les Nations Unies œuvrent réellement dans l’intérêt collectif du peuple haïtien; qu’elles contribuent effectivement au rétablissement et au maintien de la sécurité, au fonctionnement des institutions dans le respect des normes.
Le Président Jovenel Moïse ne pourra pas organiser, seul et par décret, des élections inclusives, transparentes et crédibles. Aucune révision constitutionnelle ne peut se concevoir en dehors d’un consensus national. Rien ne peut arrêter la marche du temps, il désormais inévitable de préparer, en toute raison, une transition pacifique au travers d’un réel dialogue inclusif.
Recevez, Monsieur le Secrétaire Général, l’expression de leurs hautes considérations!

Suivent les signatures:

Edgard Leblanc Fils
OPL

Sadrac Dieudonné
MOCHRENHA

Edmonde Supplice Bauzile
PFSD (FUSION)

Génard Joseph
VÉRITÉ

Kénol Mathieu
VEYE YO

Paul Denis
UNIFOS

Marjory Michel et Nenel Cassy

Secteur Démocratique et Populaire

Jean Baptiste Bien Aimé et Hugues Celestin
Inititive Patriote Marien-IPAM

Youri Latortue
AAA

Sorel Jacinthe
INITE

Cc: Conseil Permanent de l’OEA, Conseil de l’Union Européenne, Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.

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